Joyeux anniversaire, M. Les Paul

Pour clore le festival MNM 2015, Tim Brady a présenté sa composition 100 Very Good Reasons Why___, un hommage à Lester Polfuss (alias Les Paul), guitariste de jazz et pionnier de la guitare électrique, pour son 100e anniversaire de naissance.

Cette pièce écrite pour pas moins de 100 guitares électriques ne pouvait qu’être présentée au complexe Desjardins. L’orchestre présentait plusieurs représentations le samedi 7 mars entre 15 h et 17 h. D’où est venue cette idée d’écrire une telle pièce ?

La première source d’inspiration de Brady pour l’écriture de cette pièce est son intérêt pour la surimposition sonore et l’enregistrement multipiste. La deuxième est une commande qu’il a composée en 2002 pour « le Festival international les Coups de théâtre », Twenty Quarter Inch Jacks : « J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec 20 guitares électriques. Je me disais « Si 20 guitares électriques marchent bien, peut-être 100 guitares électriques seront cinq fois mieux » ». Le résultat était spectaculaire.

L’orchestre était divisé en quatre : 25 guitaristes placés autour de la fontaine, dans les quatre coins de la place. Tim Brady dirigeait une section pendant que trois autres chefs d’orchestre dirigeaient les autres. Des micros étaient perchés sur des supports devant chaque groupe de guitaristes et des haut-parleurs étaient accrochés aux colonnes autour de l’orchestre. J’étais arrivé juste à temps pour la dernière représentation de la journée. Les guitaristes prenaient leur dernière pause. Ils possédaient toutes sortes de guitares : des modèles à caisse pleine, semi-acoustique, de collection, des éditions rares, des modèles anciens, des répliques d’instruments de guitaristes célèbres et même des modèles japonais. Bref, de quoi impressionner un collectionneur ! Il y a dû en avoir puisque certains passants profitaient de cette dernière pause pour poser des questions aux fiers propriétaires de pièces rares. Les guitaristes étaient équipés d’amplificateurs de 30 watts à 50 watts. La plupart étaient des amplificateurs à transistors, mais les amplificateurs à lampes, beaucoup plus puissants, n’enterraient pas ces derniers.

« La prochaine représentation sera dans sept minutes ! », dit Brady en passant devant les diverses sections.

Aussitôt que les sept minutes se sont écoulées, les membres de la section de Brady ont gratté avec leurs ongles les cordes de leurs guitares et les ont frottées avec leurs plectres et les paumes de leurs mains. Cette introduction rappelait les cacophonies que produisent les groupes rock pour conclure leurs concerts, mais sans distorsion. Cependant, le son des guitares n’était pas énormément modifié : la composition de Brady et le complexe Desjardins ont fait le travail des pédales d’effets pour reconstituer le son de la guitare de l’inventeur défunt.

Brady a ensuite donné le signal à sa section d’arrêter brusquement. Aussitôt, la section en face de lui joua la même chose. Les autres sections ont fait de même, ce qui a produit un effet rappelant une pédale de délai. Faire le tour de la fontaine pour voir les autres sections était difficile à cause des passants qui bloquaient le chemin avec leurs bras tendus tenant des téléphones mobiles pour filmer le concert. La disposition de l’orchestre et des haut-parleurs créaient un effet panoramique et le son était différent selon où on se tenait. La hauteur du plafond créait des réverbérations naturelles, donc pas besoin de pédales. Les effets d’ambiances, la surimposition de parties de guitares, le son des cordes de métal, toutes les choses pour lesquelles Les Paul étaient célèbres se sont fusionnées pour créer un mastodonte fantomatique planant au-dessus des spectateurs. La présence du regretté guitariste s’est fait sentir. Bref, cette soirée-là, le génie de Brady a invoqué Les Paul sans dépendre de la technologie.

Cependant, cet hommage de Tim Brady n’était ni une pièce bruitiste, ni une expérimentation avec des textures sonores. La pièce contenait beaucoup de mélodies jouées en harmonie et même, certaines lignes mélodiques au son cristallin, comme dans les solos de Les Paul. Les guitaristes faisaient couler les mélodies grâce à leur phrasé fluide. Plus tard, la section de Brady a produit un effet chantant grâce à une technique blues : le jeu du goulot ou slide guitar, qui consiste à frotter un goulot de bouteille ou un tube en nickel, en verre ou en laiton sur les cordes. Brady n’a pas oublié les nuances dans sa pièce. L’orchestre, à travers la dernière partie de la pièce, passait par toutes les nuances de forte à piano subitement. La conclusion était abrupte. Une salve d’applaudissements a suivi. « C’était les cent guitares ! » dit Brady en présentant l’orchestre. Pour le remercier, un des guitaristes ajouta de la distorsion au son de sa guitare et a joué une progression d’accords souvent joué par des débutants pour épater leurs copains. Brady a ensuite hurlé, sourire aux lèvres : « Non ! Non ! Non ! C’est fini ! No Stairway to Heaven ! ».

Brady démontre une fois de plus, comme l’avait fait Les Paul, ce qu’on peut faire avec une guitare électrique. Le compositeur-guitariste avait bien raison : cinq fois plus de guitares quintuple le plaisir. Que dire de plus quand chacun joue comme le créateur de la guitare la plus célèbre au monde ! Mais Brady nous a réservé 100 Very Good Reasons Why___ beaucoup plus de surprises comme un large éventail de techniques que Les Paul a popularisé et même une touche d’humour. Dans son dernier entretien avec la SMCQ, Brady a annoncé que son prochain album, qui sortira cette année, contiendra The Same River Twice Symphony # 5.0. Si 100 Very Good Reasons Why___ ne paraît pas aussi sur l’album, cela sera bien dommage !

Si vous aviez manqué le spectacle, pour vous faire une idée de la pièce, imaginez un croisement entre Twenty Quarter Inch Jacks et ce solo de Les Paul. 

 

 

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