Un aperçu de Molinari Branché ! avec Olga Ranzenhoffer

Le Quatuor Molinari prépare son nouveau spectacle Molinari Branché ! , un concert dans lequel les pièces Twenty Windows de Laurie Radford, String quartet no 4 de Jonathan Harvey et la nouvelle pièce de Luc Plamondon qui sera présentée pour la première fois, Aux premières lueurs, recevront un traitement électronique. Nous nous sommes entretenus avec Olga Ranzenhoffer, violoniste du Quatuor Molinari, quelques jours avant le spectacle pour en avoir un aperçu.

 

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SMCQ : La nouvelle pièce Aux premières lueurs est un hommage au peintre Fernand Leduc. Pourquoi avec vous choisi de rendre hommage à cet artiste ?

 

Olga Ranzenhoffer : C’est Yannick [Plamondon] qui a choisi de rendre hommage à cet artiste. Yannick nous avait dit qu’il est allé au musée de Québec et il avait vu une exposition sur Fernand Leduc. Yannick a été frappé par l’œuvre de Leduc. Il aimait les monochromes et ceux-ci lui ont servi d’inspiration pour écrire une pièce pour nous, le Quatuor Molinari, avec traitement numérique direct. Ce traitement crée vraiment un fond, un paysage sonore avec des textures qui prennent des fois plus de place, des fois moins, et les sons du quatuor sont vraiment transformés. C’est très beau. Il y a une section très lyrique à la fin de l’œuvre un peu comme le thème qui ressort plus vers la fin. Le thème contient des notes longues qui captent l’attention des spectateurs et les tiennent en haleine et puis, à un moment donné, le thème de l’œuvre apparaît dans toute sa splendeur et intégralité. C’est très chantant.

 

SMCQ : Lorsque vous décrivez votre musique, vous le faites souvent en termes de peinture. Comment faites-vous pour convertir des toiles en musique dans votre esprit ?

 

OR : C’est sûr que dans la musique, quand on produit des sons, on cherche une couleur particulière. Des fois, on essaie de mettre des mots ou une expression sur ce qu’on joue. On se demande « qu’est-ce qu’on veut faire ressortir ? Quel genre de caractère y a-t-il à cet endroit-là ? ». On se dit que le son doit être joyeux ou angoissé ; ou que ça doit être lumineux ou plus transparent ou plus sombre. C’est en mettant des mots sur ce qu’on joue qu’on arrive tous à la même vision.

 

SMCQ : D’où vient votre fascination pour l’art abstrait ?

 

OR : J’ai toujours personnellement aimé ça et puis c’est sûr que la rencontre avec Guido Molinari a été vraiment un catalyseur. Ces rencontres m’ont plongé encore plus dans l’art abstrait et les couleurs. J’ai eu beaucoup de rencontres avec Molinari. Il venait manger chez moi. On allait au musée ensemble. Et puis il me disait des fois « les gens disent tout le temps que ‘ l’automne est une saison tellement ennuyante : tout est gris et plate ‘, mais il faut regarder toutes les teintes de gris. Il faut prendre le temps de regarder et de se laisser imprégner. » Oui, il avait une fascination pour les couleurs. Et puis justement, dans l’art abstrait, il y beaucoup de jeux de couleurs et chez Molinari,  ce sont les couleurs primaires qui ressortent, toujours des couleurs très vives. Avec la technique hard edge, on prend du ruban-cache pour faire des lignes très droites entre les différentes couleurs pour qu’elles se démarquent et les faire vraiment ressortir. Il n’y a pas de flou entre les couleurs dans les peintures de Molinari. Cet aspect franc, direct, j’aime ça. Des fois dans la façon dont je joue aussi c’est comme ça : franc, direct et plein d’énergie. On retrouve cette énergie dans les œuvres de Guido Molinari et chez les peintres abstraits et contemporains.

 

SMCQ : Est-ce que la manière de travailler de Guido Molinari vous a influencée ?

L’inspiration ne venait pas à Molinari tout simplement en se tenant devant sa toile. Chez lui, tout était décidé d’avance. L’œuvre était toute dans sa tête ou dans des croquis. Les dimensions de chaque carré et chaque rectangle étaient toutes calculées d’avance ; c’est le travail de préparation avant l’exécution. Une fois qu’il a décidé ce qu’il voulait faire, le processus d’exécution n’est pas long du tout. C’est pour ça qu’il a pu produire beaucoup de toiles. Quand il savait clairement ce qu’il voulait, il préparait sa toile, bien sûr, en peignant des couches et en ajoutant des couleurs en dessous. Peindre ses bandes verticales ou ses triangles ou ses autres choses était très rapide. Quand il faisait les couleurs, c’était plus long, mais faire l’œuvre en tant que telle n’est pas long. C’est comme ça pour nous aussi en musique : tout le travail préparatoire qu’on fait individuellement et collectivement, en quatuor, avant le concert, est le même processus.

 

SMCQ : À quelles difficultés le quatuor Molinari était-il confronté dans l’interprétation de Aux premières lueurs ?

 

OG : Quand on reçoit une nouvelle partition, on la déchiffre, c’est sûr. Techniquement, ce n’est pas très difficile. C’est intéressant parce qu’on a rencontré Yannick [Plamondon] lundi quand il est venu à Montréal.  Puis, on a parlé des détails de la pièce avec lui. Il nous a dit ce à quoi il s’attendait. C’est sûr qu’il met des détails dans la partition, mais des fois, on ne peut pas tout écrire comme le caractère, l’expression et tout ce qu’il veut exactement. Alors rencontrer le compositeur aide beaucoup les musiciens parce qu’on peut retourner pratiquer en sachant quelle direction prendre. Aux premières lueurs est une pièce qui comporte certains défis, mais la pièce est très bien écrite. Elle est très idiomatique. Il y a des petites affaires rythmiques parfois, des choses à pratiquer, des choses un peu difficiles, mais tout se fait très bien. Yannick connaît bien l’écriture pour les cordes. Il est toujours agréable d’avoir un compositeur qui sait écrire pour un quatuor à cordes : ce ne sont pas tous les compositeurs qui en sont capables. Certains font des choses qui ne sont pas idiomatiques, qui ne sonnent pas bien ou qui ne sont pas jouables, mais avec Yannick, on voit qu’il a du métier et qu’il s’y connaît bien.

 

SMCQ : J’aime votre utilisation du mot « idiomatique » parce qu’il présente la musique comme un langage et chaque instrument différent, comme une langue différente.

 

OG : Oui, on pourrait dire que la langue commune est celles des instruments à cordes ou le quatuor et les régionalismes et les dialectes locaux, chaque instrument. Entre le violon, le violoncelle et l’alto, il y a des petites différences, mais les musiciens du quatuor parlent le même langage. Alors, le compositeur doit savoir que certains genres d’accords ou certains sauts ou certains effets ne sont pas possibles. Il doit connaître la texture et les techniques d’archet qu’on peut utiliser. Voilà ce qu’est le côté idiomatique pour l’écriture pour cordes : ce qui sonne bien.

 

SMCQ : Selon le programme, « Le Quatuor Molinari ajoute une nouvelle couleur à ses sonorités en se connectant à l’électricité ! Sous ses archets, les sons passeront des cordes aux câbles pour un traitement électronique en temps réel (…) ». À quoi pouvons-nous nous attendre ?

 

OR : Du traitement numérique direct, nous n’en avons pas tous fait parce que l’installation de l’équipement est longue et compliquée. On en a fait un peu avec Yannick lundi, mais il se concentrait plus sur les ajustements avec les ordinateurs. Le traitement numérique direct est plutôt un paysage sonore, un fond sonore, une espèce de son ambiant. Yannick veut se servir de quatre ou huit haut-parleurs dans les trois pièces pour avoir une espèce d’espace sonore dans lequel on jouera. Cet espace sonore est, bien sûr, créé avec des sonorités à nous, mais qui sont tellement transformées par les ordinateurs qu’elles ne semblent pas avoir de rapport avec le quatuor. Les haut-parleurs vont être placés autour des spectateurs, donc les gens vont être baignés dans une mer de sonorités. Bien sûr le point central est le quatuor sur scène.

 

SMCQ : Donc, si je comprends bien, vous n’allez pas utiliser d’instruments électriques.

 

Non, les instruments ne sont pas du tout électriques. Nous. On est acoustique. On n’est amplifiés dans aucune des pièces. C’est vraiment le son réel du quatuor que les gens vont entendre, mais en plus ils auront des sonorités qui ont pour racine les sons du quatuor qui sont transformés par l’ordinateur en temps réel.

 

Par exemple, quand on était avec Yannick lundi, on pratiquait au conservatoire et il y avait des petits écrous sur nos instruments. Les ordinateurs étaient allumés et à un moment donné, quand ont discutait avec Yannick, il y avait beaucoup de bruits, des [Olga imite les bruits] autour de nous. C’était le timbre de nos voix captées par les micros et transformées par l’ordinateur. Yannick s’est dépêchait d’éteindre l’ordinateur. La base du son est celle du quatuor. Chaque instrument a un micro et sa propre tessiture, mais n’empêche qu’à l’aide du traitement numérique direct, le son des violons peut devenir grave et celui du violoncelle, aigu.

 

SMCQ : On dirait que Plamondon a une manière très originale de travailler. Pourquoi aviez-vous choisi de travailler avec lui ?

 

OR : On avait fait un projet avec lui il y a plusieurs années. Le sculpteur David Altmejd et Pierre Lapointe étaient là. Yannick avait fait des arrangements et avait créé de la musique originale aussi et on a sympathisé beaucoup ensemble. Il nous connaissait de réputation et il a dit « je veux faire quelque chose pour vous ». On est en contact depuis plusieurs années. Il trouvait le lien avec la peinture intéressant. Yannick est une personne très cultivée. Il s’intéressait aussi à Guido Molinari et à Fernand Leduc et il voulait faire quelque chose dans ce genre.

 

SMCQ : Pourquoi le spectacle se nomme-t-il Molinari branché ?

 

OR : Les trois pièces sont jouées avec le traitement numérique direct. Il ne faudrait pas qu’il y ait de panne d’électricité parce qu’on ne peut pas jouer à la chandelle [rires] ! C’est vraiment de la musique du XXIe siècle avec des ordinateurs. C’est toute une organisation complexe. Les micros ne sont pas au-dessus des instruments : ils sont directement fixés sur le chevalet pour capter les vibrations de chaque instrument.

 

SMCQ : Est-ce qu’il y aurait autre chose que vous vouliez dire aux amateurs de musique souhaitant assister au concert ?

 

OR : C’est un concert vraiment unique et exceptionnel dans le sens que c’est rare de voir un quatuor à cordes présenter un concert totalement branché. Les trois œuvres au programme sont très différentes. L’écriture de [Jonathan] Harvey est très différente de celle de Plamondon et de [Laurie] Radford dans le sens qu’il y a plus de bruitisme. Quand on joue, parfois, on balaie l’archet sur les cordes, on joue derrière le chevalet ou on joue sur le bois de l’instrument pour faire un « chhhhhh ». Il y a des sonorités de bases que le quatuor fait qui sont plus bruitiste et il y a des bouts très doux. Les pièces de Jonathan Harvey sont très difficiles rythmiquement. C’est magnifique. Dans ses pièces, il y a toute une recherche de couleurs à la base tandis que les écritures des deux autres compositeurs sont plus conventionnelles. L’écriture de Harvey est beaucoup plus poussée : ce n’est pas une écriture de quatuor classique. Il y a beaucoup d’effets, beaucoup de trémolos, de ponticellos, des sons harmoniques et fugitifs. Il y a plus de liberté dans ses pièces. Le Radford est comme le Plamondon dans le sens que l’écriture pour quatuor est plus conventionnelle. 20 windows (20 fenêtres) de Radford est composé de 20 regards ou sections avec transformation. J’invite les gens à venir, car c’est notre premier concert intégralement électronique. On a déjà présenté le Radford. C’est un beau défi technique. C’est drôle, on ne peut pas apprécier les œuvres, car on ne peut jamais entendre les pièces comme les spectateurs les entendent. Il faut attendre l’enregistrement de la pièce pour apprécier ce qu’ils ont entendu. En raison de tout l’équipement nécessaire, ce n’est un spectacle qu’on peut reproduire dans son salon.

 

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Ne manquez pas le concert Molinari Branché! qui sera présenté le dimanche 2 novembre 2014 à 15 h à la salle Tanna Schulich au 527, rue Sherbrooke Ouest.

 

 

 

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