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« O Mensch » de Dusapin, un classique moderne

Bonjour à tous!

Cette semaine, nous nous permettrons une petite pause dans le suivi de la Série Hommage pour vous parler du concert que le baryton Vincent Ranallo et le pianiste Matthieu Fortin présenteront ce vendredi soir à la Chapelle historique du Bon-Pasteur où ils joueront le magistral cycle de lieder O Mensch du compositeur français Pascal Dusapin sur des textes de Nietzsche. Romantisme français et lyrisme allemand se mêlent dans une pièce qui aborde des thèmes aussi différents que l’humanité, la nuit, la mort, le désespoir, l’amour et le secret, entre d’autres. Cinq jours avant le concert, le soliste Vincent Ranallo nous en parle avec passion!

Vincent Ranallo partage avec nous ces réflexions sur 'O Mensch' avant le concert de vendredi. Photo: Caroline Laberge.

Vincent Ranallo partage avec nous ces réflexions sur ‘O Mensch’ avant le concert de vendredi. Photo: Caroline Laberge.

« O Mensch de Dusapin est une œuvre hybride, car elle combine des éléments de mélodrame (texte déclamé en divers degrés de parlando ponctué par le piano) à de véritables chansons dont le ton varie de l’ironie mordante, au coup de gueule et à la rêverie philosophique en passant par la peinture de quelques passions bien humaines. Afin de rendre cette riche palette, nous devons réunir une approche vocale comparable à celle exigée par le Wozzeck de Berg, à une grande recherche dans la pureté du timbre et de l’intonation pour faire ressortir les profondeurs de l’âme humaine décortiquée par Nietzsche, une technique qui s’apparente au bel canto ancien de Monteverdi, » explique Vincent Ranallo.

Pour le baryton, le duo formé avec le pianiste est, sous cet aspect, « une refonte de la monodie accompagnée d’une basse continue épousant les remous de la dramaturgie imaginée par le compositeur. » « Si la voix représente toujours la présence mystérieuse de l’humanité, le pianiste alterne entre les rôles d’interlocuteur impertinent, d’ombre portée, de décors théâtral et d’accompagnement pur et simple.  La mobilité et le raffinement de cette relation, ainsi que la précision maniaque de la coordination exigée, nous ont incités, Matthieu et moi, à investir un grand nombre d’heures de répétition afin d’arriver à la plus grande aisance possible. »

D’un autre côté, Vincent Ranallo remarque que toutes ces subtilités, surtout rythmiques, ne doivent pas provoquer un sentiment de contrainte, car « il ne faut pas oublier que Dusapin se considère comme un jazzman frustré: le groove et le swing forment une sorte d’ancrage pour l’extraordinaire liberté d’accentuation à laquelle nous sommes conviés comme interprètes. » À son avis, il s’agit « d’une clé permettant de rejoindre plus directement l’auditeur dans son intériorité: la fluidité presque dansante du flot sonore faisant souvent mine de s’arrêter, de se suspendre à des accords puisant dans la mémoire du romantisme et de l’expressionnisme allemand. »  

Le  très moderne langage de Dusapin glisse parfois ainsi vers une fausse impression de modalité, surtout dans la ligne vocale: « Comme plusieurs compositeurs issus de la tradition française, dont Olivier Messiaen, Gilles Tremblay, les spectraux,  il affectionne la contemplation du son développé dans l’espace. Contrairement à eux, cet amour de la résonance ne me semble pas sacralisée: non pas adoration mais rêverie. Son lien de filiation déclaré à Varèse et à Xenakis est tempéré par la sensualité un peu fétichiste de ses harmonies, complexes dans les détails mais relativement stables globalement, caractéristique qui facilite la réception de cette musique dont la simplicité est extrêmement trompeuse. »

En bref, chacun y trouvera son compte dans ce concert, car « Dusapin intègre et assume dans O Mensch toute la complexité de l’histoire d’un genre musical, aux confins de la cantate in stile representativo, du Liederabend, de la scène mélodramatique et de la chanson de cabaret.  Il crée un cycle qui a de bonnes chances de devenir un classique moderne. » 

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